Noémie Kirion
Le chat sur le clavier, Ben Sira et Habacuc
« — Je m’appelle Noémie Kirion, j’étudie au département des Sciences de l’Antiquité de l’ENS de Paris et je participe à La Bible en ses Traditions depuis cette année. Je devais me rendre à Jérusalem dès la rentrée 2020, après l’obtention de mon Master 2 sur la Septante, mais ce projet s’est trouvé quelque peu contrarié. C’est donc sans prendre d’année de césure et depuis mon petit studio parisien que j’ai commencé, à distance, cette collaboration. N’ayant plus d’obligation de mémoire, j’organise mon temps entre mes cours et mes rendus de devoir pour relire et annoter les livres d’Habacuc et du Siracide. Un travail un peu plus solitaire que prévu, mais heureusement accompagné d’échanges Skype qui m’évitent de me noyer dans mes traductions !
Ce travail « maison » présente bien quelques difficultés. Les problèmes de connexion, Skype qui ne marche que sur téléphone ; le bruit quotidien des perceuses dans l’immeuble – me conduisant finalement à fuir Paris pour la maison familiale ; le chat qui cogne à la fenêtre pendant les visioconférences, ou qui marche sur le clavier, menaçant d’extinction un ordinateur déjà fatigué. Mais, une fois toutes ces épreuves surmontées, quel plaisir de parvenir à la trouvaille de traduction tant espérée ! La recherche de la tournure la plus efficace, la comparaison des textes en différentes langues, qui peuvent aussi bien s’éclairer que se contredire, tout cela fait pour moi l’intérêt de ce projet, et donne du relief à mes propres études sur les langues bibliques.
Je suis chargée de relire la traduction en français de textes issus d’une Vulgate qui n’a pas encore été traduite dans cette langue. Cela m’a immédiatement enthousiasmée, d’autant plus que le livre de Ben Sira est le sujet de mes deux mémoires. Je découvrais Habacuc, mais sa traduction étant encore très peu corrigée, j’ai trouvé le défi très stimulant. J’essaie de m’assurer que le français reste compréhensible sans trop trahir le texte original, ce qui nécessite un exercice de réflexion passionnant.
J’apprécie en particulier le parti pris de garder une traduction au plus près du texte, ce qui laisse la place à ses ambiguïtés et en fait émerger la poésie, mais mène parfois à d’obscurs casse-têtes ! Rien cependant qu’une petite discussion ne puisse régler, ce qui fait tout l’intérêt de cette collaboration. De quoi amener un peu de motivation et d’échanges en cette année où je ne peux même plus suivre mes cours en présence ! »
Sr Mary Dominic Pitt O.P.
Every weekday, a little bit of Jerusalem comes to Nashville, Tennessee.
« My days are now filled with the work for BEST for several hours in the morning and several hours in the afternoon. To find a strong and elegant translation, as literal as possible, means complete and joyful absorption at each sitting. I transliterate and align all five versions in the polyglot to compare both shared and unique features. The next step is to look for fascinating philological details—grammar, etymologies, classical figures of speech, syntactic discrepancies, and semantics—all features that shed light on the ancient writer’s choice of words and word order. My tools are the texts themselves and a grammar and lexicon for each.
In the lively text of the Book of Revelation, the feet of the Son of Man shine like “brass of Lebanon” (1:15), not only a land of fine brass but also of mountains whose white snow is perfection (1:15). Six wings are attached above the “toenails” of the four living creatures, a single Syriac word simultaneously identifying the man, the lion, the calf, and the eagle! (4:8). The angels adoring the Lamb are not only thousands but dynamic myriads circling the Throne (5:1). Only after weeping does the visionary notice the Lamb for the first time (5:6).
Participles, finite verbs, and perfect aspect often occur across the versions all in the same verse or even in the same word, natural language seeming unable to express the timelessness of Heaven!
A satisfying translation and notes are themselves the reward. I am grateful to my colleagues in Jerusalem for allowing me to work on the BEST project for L’École Biblique! »
Thomas Costrel de Corainville
De ma petite pierre dans la cathédrale en construction
« Mon rapport à la cathédrale numérique en cours de construction qu’est la BEST n’est pas d’abord un rapport de contributeur. En tant que rédacteur des petites newsletters et désormais articles de PRIXM, je connais surtout la BEST pour les ressources qu’elle me permet de découvrir, pour ses innombrables portes d’entrée dans l’exégèse et l’étude biblique. Autrement dit : c’est surtout comme lecteur que je me réjouis toujours de lire les analyses historiques et archéologiques, les commentaires grammaticaux ou autres remarques d’intertextualité biblique — toutes ces catégories et sous-catégories qui font le charme de cette plateforme, véritables voûtes formelles, soutenant l’architecture générale !
Mais maintenant que les articles PRIXM sont republiés sur le site, leurs trouvailles pédagogiques méritent très simplement de retourner à leur source principale : la BEST. C’est donc un travail d’artisan que j’exécute pour créer de nouvelles notes. Ces nouvelles notes viennent apporter une modeste contribution avec de nouveaux morceaux musicaux inspirés des Écritures, des tableaux méconnus, mais surtout de nouvelles propositions de lecture.
Chaque article PRIXM devient une proposition, un petit carré dans l’immense mosaïque qui se construit en ce moment. Un petit carré dans l’immense mosaïque qui n’a d’ailleurs pas fini de se construire : l’Esprit ne cesse de souffler, le projet est donc infini !
Mais mon enthousiasme tient précisément de cette audace de bâtir non pas un infini présomptueux de Babel, mais un infini qui fait signe, parce que l’Ecriture inspire.Comme collaborateur à cet immense projet, on n’a donc pas fini de « jouer collectif » : de même que les plus grands artistes, écrivains, historiens ou philosophes trouvent encore des lecteurs pour reprendre le sillage de leur pensée et y tracer un nouveau chemin ; de même d’infimes notes trouveront peut-être un lecteur pour y déceler un élément sur lequel il rebondira, sur lequel il bâtira une nouvelle colonne, une nouvelle voûte.
Ainsi, j’ai bon espoir que les minuscules carrés apportés au sein de cette immense mosaïque trouvent leur place et leur couleur, par reprise et inspiration continue. Voilà en tout cas ma joie de petit artisan au cœur de ce chantier remuant ! »
Arnaud Mistral
De l’argument des choses qui ne sont qu’apparentes
> « *Vous scrutez les Écritures parce que vous pensez y trouver la vie éternelle ; or, ce sont les Écritures qui me rendent témoignage* » (Jean 5, 39).> La lecture de ce verset me renvoie au travail qui m’est confié dans le cadre de la BEST. Chargé de relecture de la traduction de la version latine de saint Jérôme, dite Vulgate, je dois harmoniser, corriger et vérifier que le texte présenté dans l’application BibleArt, en cours de « béta-testing » soit entièrement lisible. Si cette mission consiste souvent à enlever des virgules ou corriger certains retours à la ligne, il n’est pas rare de rencontrer des cas dont l’intérêt donne à mon travail une valeur supérieure. En effet, en scrutant les Écritures, on s’aperçoit que de légères nuances entre les versions, ou des ambiguïtés apparement sans importance révèlent finalement de grandes questions.
Par exemple, en relisant l’épître aux Hébreux, durant ce Carême, j’ai trouvé au chapitre 11, verset 7, dans un passage faisant la louange de la foi des patriarches :
« Par la foi, Noé, ayant accueilli un oracle touchant ce qui n’était pas encore visible, avec crainte, construisit pour le salut de sa maison une arche, par laquelle il condamna le monde ; et de la justice selon la foi fut institué l’héritier. »
Les commentateurs et les traducteurs comprennent souvent le par laquelle comme renvoyant à l’arche. Ainsi, la construction de l’arche devient une condamnation pour le monde car elle opère le jugement de Dieu contre les hommes iniques, par le déluge.
Dans la Vulgate, cependant, le féminin de per quam peut renvoyer tant à l’arche (arca) qu’à la foi (fides) dont l’auteur fait la louange dans ce chapitre. C’est alors par la foi de Noé que le monde est condamné ! C’est ainsi que Thomas d’Aquin comprend le texte et le commente :
« Noé, parce qu’il a accompli ces choses en raison de le foi, condamna le monde, c’est-à-dire manifesta que ceux qui vivaient dans ce monde étaient dignes de condamnation. La foi de Noé est une condamnation du monde car elle manifeste l’iniquité et l’infidélité du monde. La foi de Noé manifeste ainsi la définition qu’en donne l’auteur de l’épitre en tête de chapitre : « la substance des choses que l’on doit espérer, l’argument qui prouve des choses qui ne sont qu’apparentes ». Noé, par sa foi, espère la justice pour lui et pour le monde, tenant ferme la certitude de la justice de Dieu malgré l’apparente méchanceté et perversion des hommes sur l’ensemble de la terre. »
Thomas rajoute alors :
« Car de même que, après la mort, on entre en possession de l’héritage de celui qui le possédait, ainsi depuis le commencement du monde, la justice n’avait pas encore totalement disparu de ce monde, puisqu’il subsistait encore ; mais au déluge ce monde périt presque en entier, et alors Noé devient par sa foi comme l’héritier de la justice qui naît de la foi. La foi de Moïse était le seul reliquat de justice au milieu des hommes mauvais, et cette foi devint un reproche vivant à la face du monde. »
Ainsi, une légère ambiguïté qui pourrait passer inaperçue peut être l’occasion d’approfondir le texte. Une ambivalence peut être à la source de deux compréhensions, qui sans se contredire, enrichissent le texte de nouvelles dimensions insoupçonnées. C’est alors que la mise en relation de la Bible avec ses traditions interprétatives prend tous son sens et permet de retrouver, du texte, l’épaisseur et la richesse vivantes.
« Vivante, en effet, est la parole de Dieu ! » (He 4, 12)